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3 mars 2022 4 03 /03 /mars /2022 13:34
Mourir peut attendre

A l'heure où le monde de l'espionnage se fait doucement supplanter, par la franchise Mission Impossible (qui est plus espionnage que James Bond c'est dire), chaque sortie d'un nouvel opus de James Bond est accueillie par un lever de sourcil interrogateur, voir un refus poli de la part de certains. 
Depuis l'excellent Goldeneye de Martin Campbell et son M féminin remarquablement interprété par Judi Dench, qui portait déjà haut les couleurs du féminisme (une James Bond girl pas potiche pour un sou, et une méchante qui supplantait presque Alec Trevelyan, l'antagoniste et meilleur ami de Bond), la franchise était presque repartie sur de bons rails. Pierce Brosnan composait un nouveau Bond, plus gadget et humour anglais, cynique mais pas bégueule. Malheureusement, même si l'interprète s'en sortait plutôt bien et laissait une belle empreinte dans l'esprit des fans, niveau scénario et péripéties ça ne suivait pas réellement. Ainsi, sur les 4 opus interprétés par le britannique, seul Goldeneye tenait le haut du pavé. Demain ne meurt jamais se révélait à peine divertissant, et le Monde ne suffit pas finissait d'enterrer la franchise. Je mets à part le suivant, "Meurs un autre jour", parce que personnellement je l'avais trouvé très réjouissant, un film qui osait des trucs, même dans le kitsch et le gadgetisme assumé, un toujours plus façon XXX sorti pourtant quasiment simultanément, l'un n'ayant pas pu influencer l'autre.

Mais l'idée principale, étant de montrer que le méchant était un parfait décalque de Bond, bien que pas nouveau dans la franchise (plusieurs films utilisaient déjà ce ressort dramatique), l'exécution dans ce dernier était profondément réjouissante. Et puis, c'était une belle idée d'écorner un peu le statut du surhomme (cf le livre de Umberto Eco, de Superman au surhomme qui aborde le personnage de James Bond) en le montrant se faire malmener et torturer dès le générique, qui commençait dans l'eau glacée d'un seau dans laquelle sa tête était plongée. Dès cet instant, le générique n'était donc qu'images mentales que se projetait l'espion en smoking pour pouvoir résister à la violence de la torture, qui lorsqu'elle est trop élevée, décorpore l'individu de son corps et de sa souffrance. Ainsi pour une fois, avec une idée simple, le générique prenait une tournure grave et quasiment psychotique.
Une fois Brosnan, out, par son contrat terminé, et le fait qu'il devenait trop vieux pour le rôle, le remplaçant, Daniel Craig, fut moqué par un grand nombre de gens, alors qu'en réalité, il était probablement avec Timothy Dalton, et George Lazenby le personnage le plus proche du Bond des romans tel qu'imaginé par Ian Fleming. 
Il faut se rappeler que dans le livre, Bond tue un homme désarmé, et ce souvenir le hante, et le fait vomir pendant deux pages. On est loin du tueur froid et cynique, limite "fasciste" comme peut le décrire John le Carré, à qui on laissera ses fantasmes de voir des fascistes partout, et malgré le fait qu'il ait été lui aussi espion au MI5-MI6. Il est ici affaire de fiction, et on ne traitera que de fiction.
Craig donc, se révèle le candidat idéal, il arrive en un seul personnage à rassembler, le cynisme et l'humour anglais de Brosnan, la classe de Sean Connery, l'humour à froid et le dandysme de Roger Moore, la violence et l'humanité de Timothy Dalton, et le semblant d'attachement à une femme de George Lazenby.
Le retour de Martin Campbell, monsieur Goldeneye, dans Casino Royale apportera d'ailleurs un succès manifeste à l'heure où Mission Impossible tente déjà de truster les esprits, en convoquant des auteurs de talent pour ressusciter la franchise, sous la houlette de JJ Abrams, le film Mission Impossible 3, qui décidément, hasard des calendriers sortira lui aussi en même temps que Casino Royale en 2006.
L'ère Craig, comme l'appelleront les journalistes, et certains puristes, apportera à James Bond son meilleur, (Casino Royale, Skyfall), mais aussi son pire (Quantum of Solace) qui se perdra à imiter le nouveau venu Jason Bourne, en débauchant un réalisateur à Oscar de film indépendant Marc Forster, (oscarisé pour "à l'ombre de la haine"). Et le retour en grâce, viendra par un autre oscarisé Sam Mendes qui réalisera l'excellent Skyfall en se basant sur la structure d'une autre franchise à succès, pour le moins inattendue ici, Batman, The Dark Knight notamment. Suivra du même Mendes, un film un peu plus fouillis, Spectre, qui ravira les amateurs de théorie du complot, et les fans de James Bond qui désespéraient un peu de voir enfin la fameuse organisation déjà présente dans tous les romans de Fleming.

Exit Sam Mendès, et un nouvel arrivant se présente Danny Boyle. On se reprend donc à espérer quelque chose d'assez rock mais le cinéaste britannique quitte le navire pour "divergences artistiques", mot fourre-tout dans le milieu pour tout et rien dire à la fois, et arrive un outsider, pour le moins inattendu, l'homme d'une série tv, et quelle série tv, "True Detective", monsieur Cary Joji Fukunaga.
Pour le "grand public" du moins, car Fukunaga a déjà réalisé un premier film "Sin Nombre" en 2009, et "Jane Eyre" en 2011 avant de se tourner vers la série tv. Un temps pressenti sur l'adaptation de CA, le roman de Stephen King, il sera finalement remplacé par Andrès Muschietti, réalisateur de Mama.
Le voici donc remplaçant de Danny Boyle dans la franchise Bond, et le moins qu'on puisse dire c'est qu'il imprime sa patte, avec le récit narré en quasi ouverture de l'histoire de Madeleine Swann, raconté dans Spectre. Peut-être le meilleur moment du film en terme de tension, quasiment un slasher, qui rappelle les grandes heures du genre. L'ouverture aussi du film sur une magnifique scène chorégraphiée à merveille laisse le spectateur pantelant. Cette première scène d'exposition en fait pas vraiment, se termine sur l'explosion du tombeau de Vesper.
On se dit que la barre est placée haut, et que ça va aller crescendo, mais malgré l'apparition de la fantastique Ana de Armas, qu'on aurait aimé voir plus, tant son personnage à mi chemin entre le loufoque et l'efficacité totale dans sa maladresse sublime l'alchimie qui opère entre elle et James Bond (la rencontre des deux qui sont devenus amis sur le tournage de Rian Johnson "A couteaux tirés", n'est peut-être pas totalement pour rien dans ce lien).

La nouvelle double zéro sept, après avoir fait coulé encre, et déclenché l'ire des fans réactionnaires ou non, sur le net, se révèle elle aussi n'être qu'un coup d'épée dans l'eau, tant elle ne sert littéralement à rien. Et sa seule action de grâce est de foutre dans l'acide le seul scientifique qui aurait pu aider Bond à redevenir "humain", au vu de la fin du film qu'on ne va déflorer ici pour les spectateurs qui voudraient le voir. Ce dernier se révélant d'un coup comme sorti du chapeau, être un raciste russe qui voudrait éliminer les noirs. On sent le rajout pour faire du pied au mouvement BLM, mais cet effet semble tellement littéralement sortir de nulle part, qu'on en est pas du tout impacté. Les scénaristes, (dont Craig lui-même apparemment), voulaient sans doute éliminer du processus le scientifique qui aurait pu résoudre le dilemme de Bond.
Au final, un résultat en demi-teinte, même si la fin du film reste assez émouvante. Madeleine Swann est toujours un personnage gracieusement survolé (et l'interprétation totalement effacée de Léa Seydoux n'aide pas en cela).  On retrouve Blofeld, toujours interprété par le charismatique Christoph Waltz, emprisonné depuis la fin de Spectre, épargné par Bond, et qui ne revient que pour disparaître.
Le nouveau M depuis Skyfall, Ralph Fiennes est toujours aussi efficace, même si on lui préfèrera toujours son personnage légèrement similaire, mais plus fringuant dans le génial "Kingsman Première Mission". la nouvelle Monneypenny de l'ère Craig est toujours aussi impeccable, quitte à voir un nouvel agent double zéro sept, on aurait préféré largement elle que les fans connaissent déjà, plutôt que la nouvelle venue Nomi qui encore une fois ne sert quasiment à rien. Plaisir coupable aussi de revoir Felix Leiter, même si on a beaucoup de mal à croire à leur amitié fraternelle tant rien ne nous en a été montré avant. Benjamin Wishaw continue à camper son Q moderne, jeune nerd, et flegmatique. On apprend d'ailleurs au détour d'un dialogue qu'il est gay, mais encore une fois cette information n'étant pas assortie d'effets, elle ne sert pas à grand chose. Dans Cloud Atlas, on s'attache à cet état de fait, parce qu'il est porté par une vision et par l'histoire. Ici, on a envie de dire oui et alors, sa sexualité ne regarde que lui finalement.
Enfin, un petit mot sur le bad guy of the week, Lyutsifer (Lucifer vous l'avez) Safin, interprété par Rami Malek, dont les motivations sont aussi floues que le projet, qu'on ne comprend pas vraiment d'ailleurs. Il est un mix de plusieurs anciens méchants de Bond, dont Docteur No. En revanche, cette façon de le lier artificiellement à tous les méchants de l'ère Craig, comme si il en était le seul grand commanditaire ne tient malheureusement que sur le papier. Et également, quel a été le grand secret de Madeleine Swann, si c'est ce qui se passe dans son récit, on ne comprend pas bien en quoi la révélation va abasourdir James comme le lui dit Blofeld, si ce n'est pas ça, il doit manquer un bout du scénario.
A la fin du générique, on nous dit que James Bond reviendra. Pourquoi pas, mais qui sera t-il vu que l'ère Craig s'achève sur ce film, Daniel Craig ayant effectué le nombre d'opus déterminé par son contrat ? On est pas forcément impatient de voir la suite, mais on lèvera tout de même un sourcil interrogateur le jour où ça arrivera. Et pour du grand frisson, et de l'aventure, on guettera plutôt la sortie prochaine du nouveau Mission Impossible. Il s'appelait Bond, James Bond.

En Blu-Ray, 4K UHD, DVD et coffret collector le 16 février 2022. Edité par Universal Pictures France/MGM. Le site Internet de l'éditeur, son Facebook et son Twitter.

Retrouvez ce film sur Cinetrafic https://www.cinetrafic.fr/film/60158/mourir-peut-attendre.

 
 
 
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