Pour son nouveau film, Derek Yee choisit de parler à la fois d'histoire, et de cinéma, voir même un peu d'histoire du cinéma. Puisque en dépeignant l'histoire de ce magicien interprété par un Tony Leung transfiguré, il ne parle pas moins de l'essence même du cinéma, duper le spectateur en lui faisant avaler l'incommensurable, l'inimaginable, et pourtant le réel (à quelques arrangements près).
L'histoire du film en deux mots est double, c'est à la fois une histoire de quête de l'amour et la quête de territoire d'un seigneur de guerre local pour tenter d'unifier le pays chinois avec l'aide de japonais qui semblent détenir un pouvoir sur le cinéma, ou qui sont des producteurs quelconque. Le Grand Magicien débute en 1916 dans le tout début du 20ème siècle, à une période où les conflits entre seigneurs locaux sont des plus importants. On ne comprend pas forcément à la première vision toute l'étendue du complot ourdi contre le seigneur local qui ourdit lui même son complot contre l'empereur avec ses alliés japonais détenteur du pouvoir de l'image et d'un armement de pointe. Mais si on se laisse doucement envahir par l'atmosphère du film, on passe d'un film de Wu-Xia-Pian (chine oblige) à un film d'amour, film de guerre, film d'aventure aussi, bourré de générosité dans sa réalisation et d'idée de découpage et de montage que ne renierait pas le grand Tsui Hark lui-même, qui fait ici une courte apparition.
Tony Leung est parfait en magicien au passé ambigüe et la relation qu'il tisse avec le seigneur de guerre Bully Lei est des plus intéressantes. Ils devisent tout deux philosophie, puis dans une scène jouxtant la première, Bully Lei tue un de ses hommes sans plus de cérémonie. On ne comprend pas forcément pourquoi Chang Hsien (Tony Leung) s'attache aux rebelles, mais on comprend quand même que Bully Lei n'est pas un enfant de coeur. Par ailleurs, ce dernier apparait terriblement touchant dans sa tentative de relation avec sa 7eme épouse, celle dont il est le plus épris, mais qui ne veut en aucune façon de lui. Bully Lei va tenter auprès de Chang Hsien de comprendre le coeur et l'esprit des femmes, au moyen de la magie, la métaphore du cinéma est ici évidente. Comme dans Le Prestige de Chris Nolan, la magie c'est le cinéma, et bon nombre de parallèles sont établies que ce soit à l'image, ou dans les dialogues.
Une trés belle scène avec des paroles et un tour de magie somptueux en plan séquence voit ainsi le réalisateur articuler la relation de Chang Hsien à la magie, et à l'amour. Mais on en dira pas plus, pour ne pas spoiler les quelques rebondissements du film. D'autres dialogues marquent l'importance du "vrai" et du "faux" au cinéma, tout est dit faux, sauf l'argent, "j'ai mis de vrais billets pour que ça fasse plus vrai" dira le réalisateur d'un film de propagande à Bully Lei.
Au final, il n'y a pas grand chose à dire de ce Great Magician, parce que l'articulation des plans et le découpage/montage du film est tel qu'il suffit de se laisser porter par ses émotions pour comprendre le film, et ce qu'il raconte. Et tenter la moindre intellectualisation de ce film ne pourrait se faire sans parler de l'intrigue, et le but de cette chronique est de faire découvrir le film à son spectateur potentiel, non de l'analyser.
Un film magnifique, que l'on recommande chaudement à tout amateur de cinéma asiatique, lent, chorégraphié mais aussi foisonnant et tragique ; avec quelques clins d'oeil au film de la Shaw et de petites notes d'humour ici et là. Un petit mot sur les bonus, pour dire que le making of du film est vraiment trés intéressant et permet bien de ressentir tout le défi qu'a pu être le film, même si la plupart des trucs des tours de magie ne sont pas révélés (juste quelques uns et on voudrait se gifler de ne pas y avoir pensé, tant la simplicité du tour pouvait se comprendre mais c'est toujours ce que l'on dit d'un tour de magie qu'on nous a défloré. C'était que ça.... tout le contraire en revanche de ce film qui jongle autant entre les genres qu'entre les émotions, pour au final livrer un spectacle avec plusieurs niveaux de lecture. Un film qui en plus est accessible à tous les publics quel que soit leur âge.
Sortie en Bluray le 7 août 2013. Distribué par la Metropolitan Filmexport.
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