L'IMAGE DE REVE ET SES APPARENTEES : MINORITY REPORT OU LE CAUCHEMAR PREDIT.
Minority Report est un film presque entièrement basé sur le rêve, la voyance et l'inconscient. Les images de rêves et de cauchemars se côtoient tout le long du film. Nous allons nous intéresser plus particulièrement à la séquence finale du film. Cette séquence commence avec l'emprisonnement d'Anderton et se termine à la dernière image du film (chapitre 21 à 24 du Dvd). A travers l'analyse de cette longue séquence, nous allons tenter de montrer que la fin du film peut être perçue d'une autre manière que comme un "happy end à l'américaine". A savoir que toute cette séquence est en réalité la projection mentale d'une fin heureuse que se représente Anderton enfermé dans sa prison-cercle neuronale.
Résumé : John Anderton trahit par Lamar Burgess est arrêté chez lui et enfermé pour les meurtres de Leo Crow et Danny Witwer…
La séquence débute par une réplique de Gédéon, l'étrange gardien handicapé de la prison de Pre-Crime : "tu fais parti de mon troupeau maintenant John, bienvenue, tu vas voir, ça va être le super pied, il paraît que tu vas avoir des visions, que ta vie défile devant tes yeux, que tout tes rêves se réalisent". Arrêtons-nous un instant sur cette seule réplique. Dans le cinéma de Steven Spielberg, chez qui la narration est très importante, des indices sont disséminés dans les lignes de dialogues. Ainsi cette phrase en apparence anecdotique que la sentinelle/Gédéon sert à tous ses nouveaux détenus, prend ici quasiment une dimension de prophétie. Comme si la suite de ce que nous allions voir, n'était en fait que le rêve bien compréhensible d'Anderton, faire triompher la liberté, la vérité et la justice. La résolution de l'énigme criminelle Burgess serait donc la résultante non pas de la réalité mais plutôt d'un rêve d'un Anderton prisonnier, voulant à tout prix s'en sortir et sauver son monde à défaut de sauver le monde, credo habituelle du héros/super héros américain. Il semble que ce soit une mise en abyme, surtout la dernière des répliques du gardien : "tous tes rêves se réalisent". Comme si Gédéon avant même la résolution de l'intrigue annonçait que la fin heureuse en apparence du film n'était qu'un leurre de plus, un banal rêve de prisonnier souhaitant que la vérité triomphe. Quoiqu'il en soit, il faut garder cette phrase en tête, elle est importante voire cruciale pour la suite.
La séquence se poursuit par "l'enterrement" symbolique de John dans une des prisons tubes. Anderton, nu et rasé est glissé dedans et le tube s'enfonce dans le sol comme une pierre tombale s'arrêtant au niveau des inscriptions 11.09 (le numéro de l'affaire Anderton) suivi du nom "John Anderton". On a donc toutes les particularités d'un enterrement, d'ailleurs ce 11.09 évoque aussi bien un matricule qu'une date tel les "ci-gît" que l'on voit inscrit sur les tombes habituellement. En revanche, le 11.09 ne renvoie pas nécessairement à la tragédie qui a secoué les Etats-Unis en 2001 ou alors de façon inconsciente, ce n'est qu'un numéro de dossier parmi d'autres (le cas 11.08 était le meurtrier présumé du début du film : Howard Marks). Au-dessous du nom de John Anderton sont inscrits les noms et matricule d'autres prisonniers, à plusieurs sur le même tube, on est plus près ici de l'imagerie du charnier, du caveau de famille (la grande famille des criminels) ou de la fosse commune que d'un enterrement classique, une personne par tombe. Cet endroit ressemble plus à un purgatoire post-mortem qu'à une prison. Le travelling avant vers la "tombe" d'Anderton qui s'enfonce dans le sol, renforce cette idée d'enterrement mais surtout d'enfer qu'il soit Chrétien ou plus proche des Grecs. Le nom d'Anderton et le numéro s'allume sur la "pierre tombale" lorsque celle-ci s'arrête dans le sol indiquant que la cellule de confinement fonctionne.
Le plan suivant est un plan à l'intérieur de cette "tombe mentale", un gros plan de la tête d'Anderton, le tout dans la pénombre, seul le cercle qui est autour de sa tête (antithèse d'auréole) est à peine éclairé ; puis progressivement, ce cercle s'éclaire, témoignant sans doute d'une activité neuronale intense de la part d'Anderton, jusqu'à devenir incandescent ; le rêve si rêve il y a peut donc commencer. On perçoit d'ailleurs faiblement un léger travelling optique vers son cerveau. Ce plan dure à peine quelques secondes et sans transition parvenu au summum de l'incandescence du cercle, on passe en montage cut au plan suivant. Difficile de ne pas y voir une invitation au rêve, et difficile aussi de ne pas en conclure que c'est l'activité neuronale intense qui a entraîné l'apparition du plan suivant. De ce passage brutal au plan suivant, il en résulte un étrange malaise, comme si la scène qui se déroulait ensuite était fausse, erronée, voire rêvée ou irréelle, en tout les cas plus une production du cerveau d'Anderton que la suite "logique" de l'histoire.
Le plan suivant est un plan américain en vue subjective de Lamar qui s'avance face à la caméra en disant "tout est de ma faute". De même que pour la réplique du gardien, cette réplique peut être entendu par le spectateur sans pour autant être "écoutée" et perçue dans la plénitude de ce qu'elle sous-entend et elle sous-entend énormément de choses mais encore faut-il regarder le film en cherchant à comprendre, et non en subissant ce que l'on voit et entend. Etrangement, on croirait presque avoir affaire à une confession, confession où Lamar reconnaîtrait avoir piégé Anderton et… Mais stupeur, ce n'est pas Anderton qui est mis en scène au plan suivant, mais sa femme Lara dont on sait peu ou prou "qu'[elle] a quitté son mari parce que chaque fois qu'[elle] le regardait [elle] croyait voir mon [son] fils". Etrange donc de la voir venir parler de John avec Lamar, mais peut-être est-elle toujours amoureuse de John, admettons. Quoiqu'il en soit, ce "tout est de ma faute" de la part de Lamar n'est pas à prendre à la légère dans un film de Spielberg. Il peut s'agir ni plus ni moins d'un indice auditif et visuel de plus pour nous comprendre qu'il s'agit d'un rêve d'Anderton. En effet après le fait de retrouver son fils ce qu'il sait évidemment impossible,(son souhait le plus cher), même en rêver ne le ramènera pas. De quels autres rêves John peut-il rêver à réaliser conformément au discours de la Sentinelle ? Premièrement, peut-être de punir le criminel réel, Lamar. Oui mais comment le sait-il ? On peut penser qu'il l'a deviné, il a le temps de cogiter en prison. Il est arrêté pour le meurtre de Leo Crow ce qu'il connaît, en revanche à la séquence de l'arrestation, on lui apprend qu'il est aussi arrêté pour le meurtre de Danny Witwer. Il a d'ailleurs à ce nom, une légère réaction un quart de seconde avant qu'on ne lui pose le casque incapacitant des criminels. Il n'est pas difficile pour un brillant esprit tel qu'Anderton de se remémorer le discours qu'il a eu avec Hineman et de faire le rapprochement entre Lamar et les meurtres. De plus, Leo Crow est originaire de Baltimore (c'est écrit sur le registre de l'hôtel) et Lamar a "donné son flingue" à John à Baltimore (il y fera d'ailleurs allusion plus tard dans la séquence), c'est encore à Baltimore, à la piscine municipale que John a "perdu" son fils, et enfin le médecin véreux a été arrêté par John à … Baltimore. Cela fait beaucoup de coïncidence pour une même ville, surtout lié aux mêmes évènements. On peut donc penser que John en rassemblant toutes ses hypothèses dans son cerveau en prison trouve par déduction logique que le meurtrier et le gagnant de l'histoire ne peut être que Lamar. Le deuxième de ses rêves est sûrement de se remettre avec sa femme (on voit qu'il l'aime toujours puisqu'il regarde souvent d'anciennes vidéos 3D de leurs années heureuses) on peut donc penser qu'il rêve tout naturellement que Lara vienne le sauver, ce qui pourrait expliquer le fait qu'elle passe de statut de femme faible ou au caractère pas bien défini à une femme d'action qui vient libérer son mari arme en main (un peu plus tard toujours dans la même séquence). Ainsi Anderton mettrait dans sa tête en scène le scénario idéal de fin où la morale serait sauve. Bien sur cette théorie ne tient la distance que grâce au plan cut qui passe du cercle éclairé à l'image de Lamar vue en point de vue subjectif. Mais Revenons à la phrase de Lamar : "tout est de ma faute". C'est comme un fantasme de John, le fantasme de toute victime en règle générale, vouloir que le meurtrier se reconnaisse en tant que coupable, donc ce plan de Lamar avançant vers la caméra pourrait être l'aveu fantasmé de ses crimes, ce qu'Anderton rêve d'entendre pour trouver la paix intérieure. De ce fait, le plan précédent est là pour nous suggérer peut-être, sans lourdeur, ni insistance manifeste que John est prisonnier et le restera et que tout ce qui va se passer est une projection mentale de son esprit. Dans le cas contraire, on peut se demander quel serait l'intérêt de ce plan "in vitro", ainsi que de cette transition vers un plan en vue subjective (comme si finalement le sujet (Lara) du plan était d'abord indéterminé) ? Simple esthétisme ? Cela serait fort étonnant, de plus il n'y a rien de follement esthétique dans ce plan, en revanche la théorie du rêve d'Anderton s'en trouverait justifié.
Le reste de cette séquence est une conversation entre Lamar et Lara sur la culpabilité de ce dernier. Mais cette séquence, ni dans le fond, ni dans la forme n'apporte de véritable étayage de la thèse "rêve d'Anderton" à la seule exception que c'est dans cette séquence où Lamar se trahit comme le plausible meurtrier d'Anne Lively. En effet, le grand Lamar Burgess, criminel de génie, manipulateur sans égale, qui arrive à faire croire à toute son équipe qu'il est parfaitement clean commet une bourde de débutant en disant ceci : "Ecoutez, dès lundi matin je vais essayer d'examiner la piste Witwer et je vais demander à Gédéon de chercher dans les archives du centre si un des détenus à noyé une femme qui portait le nom de … (il se rend compte de son erreur) de… comment avez-vous dit qu'elle s'appelait". Ce à quoi Lara répond : "Anne Lively, mais je n'ai jamais dit qu'on l'avait noyé". Etrange, non seulement il commet une bourde mémorable en dévoilant qu'Anne Lively a été noyé, ce que personne ne sait à part Gédéon, Witwer, Anderton et Agatha et peut-être Lara, mais en plus sur la fin de sa réplique, il manque de dévoiler son nom "de…de… comment avez-vous dit qu'elle s'appelait". Son hésitation et son jeu étant clairement perçu comme tel. Pourquoi un génie criminel de cette envergure qui a échappé à tant de personnes pouvant trouver la vérité, irait-il la révéler aussi inconsciemment ? On peut bien sur dire que un génie criminel aussi génial qu'il soit a des failles, mais en revanche, si on reste dans l'optique du rêve d'Anderton cela prend tout son sens cette révélation inopportune. Dans le cas du rêve d'Anderton, on peut penser sans doute que John imagine Lamar se planter lamentablement comme un vulgaire délinquant et ainsi cela lui permet de faire chuter de son piédestal, un homme qu'il a tant aimé et respecté. Lamar dit d'ailleurs "Je considérais John comme mon fils". De plus, cette hypothèse est intéressante dans la mesure où cette scène renvoie à la scène des aveux de Speelbound d'Hitchcock, autre grand film sur le rêve et l'inconscient. Ce serait donc une référence clin d'œil de Spielberg au grand génie Hitchcock dont les intrigues se révèlent souvent grâce à des rêves ou des états proches du rêve. On aurait donc un aperçu de ce que John rêve en tant que prisonnier : la confrontation entre sa femme (qui n'est pas présentée comme une figure de femme d'action depuis le début du métrage) et son pire ennemi, paradoxalement père de substitution.
Ensuite Lamar cherche à tuer Lara pour l'empêcher de parler, mais sa secrétaire faisant irruption dans la pièce l'oblige à changer de technique. Lamar ne chercherait pas à la tuer à cause des Pre-Cogs qui sont à nouveau trois, donc à nouveau opérationnels, il ne prendrait donc pas ce risque insensé.
Dans un gros plan surexposé, étrangement d'ailleurs, dans une pièce assez sombre, Lamar, dont le visage baigne de lumière comme dans un rêve s'adresse à Lara mal à l'aise : "nous reparlerons plus tard, peut-être demain, je viendrais vous voir chez vous". Lara acquiesce, et Lamar sort pour sa conférence. Rien dans ce passage ne permet de justifier totalement la thèse du rêve d'Anderton, si ce n'est les deux troublantes erreurs que commet Lamar, mais ce n'est pas suffisant pour conclure au rêve. Mais continuons.
Lara le regarde s'en aller, s'ensuit un travelling avant vers elle. Le regard de Lara se pose sur les affaires de John qui traîne dans une caisse transparente posé sur une petite table en face d'elle. Un travelling avant vers la caisse contenant les affaires de John : son arme, son œil, ses dossiers et… On a presque un portrait chinois de John à travers certaines de ses affaires, c'est John en raccourci en fait, la présence de John et la caisse qui fait office de simili cercueil. On peut avancer aussi l'hypothèse que ce simili cercueil renvoie de façon mimétique à la prison tube transparent dans laquelle est enfermé John et que le tout peut donc renvoyer au rêve. Mais peut-être et c'est plus probablement le cas, cela annonce la séquence d'après dans la prison. D'ailleurs les stries horizontales de la caisse transparente renvoient aux tuyaux d'orgues verticaux de la sentinelle (même forme ou approchant, même couleur, même transition en travelling avant). La musique religieuse (Jésus que ma joie demeure de Jean Sébastien Bach) qui se fait entendre pendant ce double travelling est d'abord présente sur le plan de la caisse en tant que musique extradiégétique, puis en montant crescendo, elle devient sur le plan de l'orgue musique diégétique et an empathique (quel que soit le personnage concerné, Lara, John ou Gédéon qui joue pour les prisonniers). Cette musique envahissant progressivement l'image, peut être perçue soit comme une annonce du plan de l'orgue, soit comme une référence à un enterrement (musique religieuse et simili cercueil) ; donc à l'enfermement réel d'Anderton, donc au rêve que ce dernier ferait à ce moment précis. Difficile encore de trancher mais voyons la suite.
Le plan suivant, dans un travelling avant vers Gédéon (la Sentinelle) qui jouent de l'orgue pour les prisonniers, nous dévoile un pistolet qui s'avance et se pointe sur la nuque de Gédéon. Lara la femme "au foyer" devient une redoutable femme d'action. "Il faut que je parle à mon mari". Dans l'hypothèse où John rêve ce qu'il voudrait qui arrive, ce brusque changement d'attitude de Lara pourrait être expliqué par le fait que John rêve que sa femme l'aime à nouveau et soit prêt à la délivrer arme au poing. Dans le cas contraire, c'est une initiative de Lara, après tout les êtres humains sont complexes au point de se surprendre eux-mêmes parfois.
Gédéon étonné de son arrivée lui répond "vous n'avez pas l'autorisation, comment êtes-vous entrée ici". Et Lara pour toute réponse pose l'œil restant de John sur l'orgue faisant jouer la clef la plus grave. Ce détail mi-comique, mi-macabre trouve un sens dans l'hypothèse où ceci est un rêve d'Anderton. En effet on peut penser que Anderton rêve que sa femme utilise son œil et son pistolet (pris dans la caisse blanche, on les voit par transparence) pour pénétrer dans la prison et le sauver. Mais cet œil peut également être pris comme une référence à un monde du rêve. Le rasoir tranchant l'œil dans Un chien andalou de Luis Bunuel, un réalisateur fort apprécié de Spielberg, ou encore la séquence du rêve dans Speelbound D'Hitchcock, toutes deux inspirées par Dali. Quoiqu'il en soit, cette séquence en tout les cas onirique fait place au discours de Lamar pour la nationalisation de Pre-Crime.
L'accord de l'œil posé sur l'orgue fait une transition sonore avec les applaudissements (comme à la fin d'un concert) et la soirée Pre-Crime. On découvre Lamar qui remercie les gens. La secrétaire de Lamar lui offre une boite contenant un revolver et cinq balles plaquées or. Lamar explique à l'assemblée ce symbole. "Des revolvers comme celui-ci ont été donnés aux généraux à la fin de la guerre de sécession par leurs troupes et les barillets étaient chargés de cinq balles plaquées or pour symboliser la fin de la destruction et de la mort, qui avait ravagé le pays pendant cinq ans". Il poursuit hypocritement ou bien peut-être y croit-il vraiment ; à moins que ce ne soit aussi dans le cas du rêve d'Anderton, la manière dont John perçoit Lamar, son presque père (ce discours fait d'ailleurs écho à celui de Hook, ou encore celui de Catch me if you can, tout deux sur la vision d'un père par son fils sans trop sur interpréter). Il poursuit donc son discours : "mesdames et messieurs avec Pre-Crime qui devient national peut-être pouvons nous enfin envisager un avenir où aucun de nous n'aura plus jamais l'occasion de décharger une arme à feu". C'est bien sur oublier que Lamar a tué 24h avant Danny Witwer avec le pistolet de John et qu'il est impliqué dans la mort de Leo Crow. Dans cette scène, aucune indication ne permet de créditer l'hypothèse du rêve d'Anderton.
Ensuite le téléphone de Lamar sonne, sa secrétaire répond et le lui passe. C'est Anderton. S'ensuit un appel de Lara à Jad (le soldat noir de Pre-Crime) lui demandant d'aider John. Jad envoie la prévision d'Agatha impliquant Lamar dans le meurtre d'Anne Lively sur grand écran. Anderton dit à Lamar qu'il sait tout. Dans la salle les gens sont médusés lorsqu'ils découvrent que Lamar est coupable du meurtre. Lamar fuit la salle et aperçoit John. Lamar entre dans la cuisine et charge l'arme qu'on lui a offert. Dans cette séquence, il n'y a pas non plus d'éléments accréditant la thèse du rêve d'Anderton si ce n'est la voix off qui interroge Lamar comme un jeu télévisé. "Alors qu'est-ce vous allez faire Lamar, qu'est-ce que vous allez faire ?". Cette voix off peut aussi agir comme la voix d'un fantôme. On peut imaginer qu'il s'agit de la confrontation entre Lamar et Anderton, mais rien ne permet d'accréditer cette thèse. Mais on est plus proche de l'irréel en tant que fiction filmée plutôt que de l'irréel en tant que rêve.
La séquence suivante montre comment Lamar se rend coupable d'un futur meurtre à l'encontre de John. Agatha et les jumeaux visualisent ce futur meurtre. L'équipe d'Anderton voit que John en est la victime. Pendant ce temps, Lamar et John se disputent violemment dans la cuisine (dialogue anticipé également par les Precogs). Les hommes de Pre-Crime voit Lamar dire "pardonne-moi John" et le tuer ensuite d'une balle dans le cœur sur la terrasse de l'hôtel. Le lien avec le rêve vient ensuite, car si on quitte Lamar et John dans la cuisine, on les retrouvera la séquence d'après sur la terrasse et ce sans qu'on sache ce qui s'est passé entre temps. Il ne s'agit pas d'ailleurs d'une ellipse puisque le dialogue reprend à l'endroit où il s'est terminé dans la cuisine. En revanche cela rappelle étrangement l'incohérence d'un rêve où l'on peut rêver une action dans un lieu, action qui se poursuivra dans un autre lieu sans nous choquer le moins du monde. Peut-être ce la même chose pour ce passage. Par contre dans le cas de la réalité, il y a une incohérence d'action et de lieu entre la scène de la cuisine et celle de la terrasse. Les hommes Pre-Crime voit la boule du meurtrier descendre le long du tube : "Perpetrator : Lamar Burgess".
Ensuite la caméra en vue subjective franchit la porte de la terrasse et s'avance vers John. On retrouve le même angle et le même mouvement de caméra qu'au tout début du passage dans la scène entre Lara et Lamar peut-être s'agit-il d'un indice destiné à montrer que la scène est toujours celle que rêverait Anderton même s'il est présent dans la scène dans son propre rôle. Anderton habillé en noir avec sa houppelande à la Dark Vador (celle qui arbore dans les bouges) s'adresse à la caméra/Lamar ? "Lamar, c'est fini, la seule question qui reste c'est qu'allez-vous faire maintenant". Lamar entre à son tour sur la terrasse, vu de dessus ; son ombre, gigantesque, comme dans un cauchemar, s'étend sur le sol de la terrasse.
Vient ensuite le "débat/discussion" entre Anderton et Lamar sur la question du choix et de la culpabilité ; et dans cette séquence non plus, rien ne vient appuyer la thèse du rêve. Lamar se suicide et la musique extradiégétique retentit. Les gens de Pre-Crime tâte le pouls de Lamar, Lara court dans les bras de John, les invités s'approchent. La caméra s'éloigne en travelling vertical en plongée comme dans un rêve (cf la fin de Brazil de Terry Gilliam). On pourrait croire que c'est la fin de la séquence mais il n'en est rien.
Les outils de Pre-Crime sont visualisés en plusieurs plans. Un plan des bureaux vides de Pre-Crime, commenté par la voix off d'Anderton, déjà étrange comme procédé, cela renvoie à la séquence du dîner et donc à la possibilité que ce soit un rêve "en 2054, l'expérience de six années de Pre-Crime a été abandonnée". Un autre plan de la salle des gardes, totalement désertée. Un plan du bassin des Precogs lui aussi vide avec de nouveau la voix off d'Anderton "tous les prisonniers furent pardonnés inconditionnellement et libérés, toutefois les services de police gardèrent un œil sur plusieurs d'entre eux pendant des années". Les images de lieu déserte, en plus de la voix off donne une impression de voix fantomatique, ou de rêve, comme si Anderton rêvait ce qu'il voulait qui arrive et non la réalité de ce qui est.
On découvre ensuite Anderton chez lui, ses cheveux ont repoussé, et il regarde au dehors, la pluie qui ruisselle sur les vitres. La caméra dévoile dans un panoramique Lara Anderton. Elle s'avance vers John, elle est enceinte. Il la regarde et lui sourit. Ils s'embrassent tendrement et semblent être heureux. Nous avons ici soit "l'happy end à l'américaine", quoique la grossesse de Lara n'aie rien de réjouissant sachant que Sean vivra éternellement dans le souvenir des jeunes parents, mais admettons ; Soit si l'on se place du point de vue du rêve, on peut penser qu'il s'agit d'un fantasme de John toujours prisonnier. Après avoir rêvé la révélation et la mort du "méchant", puis le démantèlement du système perverti ; son rêve serait de retrouver sa femme et de vivre avec elle et un nouvel enfant pour "compenser" la mort de Sean.
Enfin on découvre les jumeaux precogs dans une maison ensoleillée. Leurs cheveux ont repoussé eux aussi. Ils portent des vêtements plus agréables que leur justaucorps couleur chair et lisent des livres. La caméra continue en travelling arrière et dévoile Agatha dont les cheveux ont aussi repoussé. Elle lit un livre en regardant le souvenir de sa mère qu'elle tient en pendentif serré dans sa main. On entend à nouveau la voix off d'Anderton : "Agatha et les jumeaux furent transférés dans un lieu secret, un endroit où ils seraient délivrés de leurs dons, un endroit où il pourrait terminer leur vie en paix". On ne peut terminer la "happy ending" sans sauver les gentils precogs malheureux esclaves du système, mais au-delà de ce point de vue, dans le cas du rêve d'Anderton, on peut imaginer, qu'il souhaite lui prisonnier que les esclaves soient sauvés. La voix off revient encore une fois étrangement et appuie cet état d'irréalité de ce que l'on voit, de plus le discours d'Anderton est redondant puisqu'il ne fait que commenter les images qu'il voit, hors le film n'a jamais usé ce genre de ficelles scénaristiques lourde, si ce n'est dans la séquence qui nous a intéressé. La caméra poursuit son travelling arrière et sort par la fenêtre, après quoi toujours dans le même plan, elle s'éloigne dans le ciel en semi-plongée, toujours plus haut, toujours plus loin. On a d'ailleurs la même fin exactement que Brazil (d'ailleurs beaucoup de références sont faites à Brazil dans Minority Report) sauf que la maison qui fume avec le tracteur est un mobil home qui fume avec un truck, mais le plan à la grue est exactement le même. Ensuite Gilliam brise le rêve en revenant dans la salle de torture, ce que ne fait pas Spielberg, proposant ainsi cette double lecture de la fin, pour un film sur le choix, voilà qui est fort judicieux. La dernière voix off agit de la même façon que les précédentes, Anderton décrit l'action et dans le cas du rêve souhaite que ça se finisse "bien" pour tout le monde. Un peu comme le "tout est qui bien qui finit bien" des contes de fées mais en décalés, ou le "tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles" dans Candide de Voltaire. Mais quel que soit l'hypothèse selon laquelle on analyse la fin du film, on ne peut nier qu'elle ait des liens avec l'onirisme et le rêve. D'ailleurs c'est le cas du film entier à bien y réfléchir.
Nous avons vu qu'il était très difficile voire quasiment impossible d'analyser la séquence 21 à 24 du dvd de Minority Report. Rien ne permet de dire que l'hypothèse du rêve soit vrai ou fausse, en revanche, plusieurs indices visuels, filmiques, référentiels ou scénaristiques permettent de s'interroger sur la présence du double fin pour le spectateur.
De là à en conclure que Spielberg se moque lui-même de l'"happy end à l'américaine" et nous propose une fin plus sombre, il n'y a qu'un pas que nous ne franchirons pas. Mais il faut aussi préciser que si Minority Report est un film sur le choix, on peut penser que sa fin si ambiguë et aux deux interprétations possibles est elle aussi laissée aux libres choix des spectateurs, seront leurs états d'esprits, leurs sensibilités et leurs envies, même si je reste persuadé que la fin heureuse n'est qu'un leurre de plus. Après tout Minority Report est tiré d'une nouvelle de Philip K Dick, écrivain américain génial et torturé, qui a créé plus d'un univers où règnent le leurre, la paranoïa et le faux semblant.