Avertissement : Cette critique du film étant également une analyse, contient des "spoilers" révélant la fin du film et l'histoire entière. Prière donc aux gens qui n'ont pas vu le film de ne pas lire ce qui va suivre.
Depuis son premier film et jusqu'à ses derniers, Shyamalan questionne le besoin de croire : la foi, que ce soit la foi ésotérique, la foi en le super héros et du super héros, la foi religieuse ou encore la foi en le Bien. Shyamalan n'est pas croyant et s'il interroge la foi, c'est que justement cette question l'obsède. Incassable questionne aussi notre place dans le monde.
Passé la séquence étonnante avec les cartons sur les comics, la séquence d'ouverture est un petit joyau cinématographique. Shyamalan filme l'accouchement de la mère d'Elijah à travers le reflet de la glace de l'arrière salle d'un grand magasin. Le réel protagoniste est introduit avec la révélation, l'enfant souffre du syndrome "homme de verre". Puis ce premier protagoniste est abandonné au profit de la présentation de David Dunn.
Nous voyons Dunn observé, scruter par le regard de la caméra, et même si il se cache à ses yeux en s'enfonçant dans son siège, l'oeil voyeur vient le débusquer à chaque fois. Ce long plan séquence sans coupe nous dévoile que le voyeur est une petite fille qui regarde le héros à l'envers (encore un thème majeur du film). Dunn voit arriver une superbe jeune fille et enlève son alliance, mais c'est un super héros (même en essence et il ne peut se permettre d'accomplir le "mal", c'est pourquoi sa tentative de drague (donc d'adultère potentiel) échoue (et on ne comprend réellement ce point qu'à la fin, ou à la seconde lecture du film).
On passe l'épisode de l'accident de train ; complètement hors champ (mais la peur nous a été transmis par l'insistance des deux trains qui frôlent le premier à intervalle régulier, puis de l'espèce d'obsession du réa à filmer la vitre avec David Dunn qui s'y reflète nous transmettant l'imminence de l'impact) ; pour en venir à Dunn qui se réveille lentement pendant qu'en parallèle, le second survivant de l'accident décède sous nos yeux (son drap blanc immaculé se couvrant de sang au fur et à mesure du discours du médecin, encore une superbe idée de mise en scène).
Passons les péripéties de Dunn et sa découverte de Elijah pour en venir au point essentiel du film, la découverte de son essence de Super héros. Il ya tout d'abord ce plan magnifique d'hommage/parodie de l'habillage du super héros, où nous voyons Dunn enfiler sa tenue d'agent de sécurité comme le lent rituel de l'enfilage d'une cape de Batman et autres Daredevil (tiens DD aussi, surement une coincidence), mais en revanche, ce n'est pas encore son costume définitif (la cape bleu de la fin). Rien n'est épargné, pas même l'identité secrète du super, il est agent de sécurité pour brouiller les pistes (même s'il n'a pas encore conscience d'être un super).
Enfin, il ya surtout la découverte de ses pouvoirs, super force comme le témoigne les expériences avec son fils sur le banc de muscu, ou encore le sauvetage flashback de sa femme dans l'accident de voiture, mais aussi le fait qu'un super héros ne tombe jamais malade (qui a vu Superman avoir un rhume, même Lucky Luke n'est jamais malade [cf la bd 'Le Pony Express']). Mais aussi, son sonar qui lui permet de déceler les criminels. D'ailleurs c'est à ce moment qu'arrive l'apparition de Shyamalan, toujours en lien direct avec son sujet et son envie (montrer toujours la narration du film en train de se faire). Dunn voit Shyamalan (réa et perso)mettre de la drogue dans sa poche. Il l'intercepte et lui demande de lever les bras pour qu'il puisse le fouiller. Un temps infime du film, Willis/Dunn l'acteur/perso mis en scène devient le metteur en scène du réa et il doit lui obéir à lui super, mais Dunn ne trouve pas la drogue, car qui peut s'imaginer être meilleur que le créateur même de l'histoire. D'ailleurs lorsqu'il le heurte, Willis ne sent pas la même chose qu'avec les autres criminels, comme si la présence de Shyamalan dans le film était une erreur, un réa n'est pas un criminel. (cette action trouvera d'ailleurs une réflexion parallèle dans Le village avec l'impossibilité pour la caméra de franchir le 4eme mur, celui qui dissimule le réa).
En somme, tout le film est construit sur Willis héros, David Dunn Super Héros qui va et doit sauver le monde. Mais à la fin, Shyamalan nous piège complètement et le twist final n'est pas une super révélation mais la suite logique du début (de nombreux indices sont d'ailleurs disséminés : Elijah qui vend à un client une sérigraphie du Bien Vs le Mal (tout est dit), en l'expliquant d'ailleurs : "c'est la vision manichéenne dichotomique du Bien combattant le Mal". Elijah a cherché et trouvé sa place, en organisant les attentats pour trouver son opposé correspondant, il est devenu malgré lui, l'essence du Mal par opposition à Dunn.
Ainsi, Shyamalan et c'est à mon sens là sa force réussit l'exploit de faire de Elijah le personnage principal de Incassable tout en ne parlant pratiquement que de la naissance de David Dunn (ersatz d'un Daredevil ou d'un Spider-man), naissance d'ailleurs orchestré de bout en bout par Elijah. Elijah comme dans beaucoup de film de Shyamalan devient donc le Destin de Dunn, le dieu créateur, et difficile de ne pas renvoyer bibliquement à la création du mal par Dieu sauf que rappeler vous, le héros est vu à l'envers et le film montre souvent une vision à l'envers des choses, donc même cette création divine est inversée :